Guerre en Ukraine, le président ukrainien souhaite concentrer les pourparlers envisagés avec Moscou sur trois thématiques : la sécurité énergétique de l’Ukraine, la libre navigation en mer Noire et les échanges de prisonniers. Un message bien accueilli par ceux-là qui, depuis le début des hostilités, ont toujours prôné pour la paix entre ces deux pays frères.
Bien que beaucoup émettent encore des doutes sur le fait de voir des diplomates ukrainiens et russes réunis autour de la même table de négociations, la réalité semble être tout autre.
Volodymyr Zelensky a assuré, lundi 15 juillet, être favorable à la présence de la Russie à un prochain sommet diplomatique, à une date indéterminée, un mois après la conférence organisée en Suisse qui avait réuni des dizaines de dirigeants, mais dont Moscou avait été exclue. C’est la première fois depuis l’échec des négociations au printemps 2022, dans les premiers jours de l’offensive russe, que le président ukrainien émet l’idée de discussions directes sans un retrait préalable des soldats russes de son territoire.
En septembre 2022, le ton de Volodymyr Zelensky était tout autre. « L’Ukraine ne négociera pas avec la Russie tant que [Vladimir] Poutine est le président », avait-il martelé dans une vidéo. Quelques semaines après, Volodymyr Zelensky avait même signé un décret rendant illégales des négociations avec Vladimir Poutine, rapportait l’agence de presse Reuters. Près de deux ans plus tard, la donne semble avoir changé. Impasse militaire, pression de l’opinion publique, stratégie diplomatique… Franceinfo vous explique les raisons possibles de cette ouverture.
Pour convaincre la communauté internationale et déjouer le bluff de la Russie
Pour Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), l’annonce surprise de Volodymyr Zelensky vise à dissiper les accusations d’attitude « jusqu’au-boutiste », et à démontrer l’intérêt de l’Ukraine pour la diplomatie, « le dialogue et la négociation ». Le président ukrainien souhaite apaiser « les Etats du ‘Sud global' », méfiants à l’idée de soutenir Kiev – début juin, la Chine et le Brésil avaient présenté leur plan pour la paix, très favorable à la Russie. C’est aussi une réponse au discours russe sur la question : « Vladimir Poutine ne cesse de semer la zizanie en disant qu’il est ouvert à la négociation », explique Tatiana Kastouéva-Jean. « Mais en réalité, la diplomatie russe se fonde sur un principe simple : la capitulation de l’Ukraine. Cette annonce de Zelensky permettrait de mettre la Russie face à ces responsabilités. »
Pour répondre à la lassitude des Ukrainiens
A ces messages envoyés au reste du monde s’ajoute une volonté de Volodymyr Zelensky de répondre aux inquiétudes de son opinion publique, fatiguée par deux années et demie de guerre. D’après un sondage réalisé par une organisation de recherche pour le site d’information ukrainien ZN.ua, 44% des personnes interrogées souhaitent l’ouverture de négociations de paix avec la Russie.
Toutefois, « ce soutien aux négociations est souvent interprété, à tort, comme l’indicateur d’une ouverture à accepter les demandes russes ou un manque de soutien à l’effort de guerre », rappelle la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Dans un sondage commandité par la fondation en mars, 83% des personnes interrogées s’opposent ainsi à un traité de paix qui impliquerait une réduction des moyens militaires.
Cette fatigue des Ukrainiens s’explique aussi par les coupures d’électricité. En juin, Kiev a annoncé avoir perdu la moitié de sa production du fait des frappes russes contre ses infrastructures. Dans un communiqué publié mercredi, le ministère de l’Energie ukrainien s’inquiète d’une consommation qui, du fait des fortes chaleurs, devrait atteindre cet été un niveau dépassant « largement » les capacités restantes.
Parce que la guerre est dans une impasse sur le plan militaire
Depuis l’échec de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023, l’armée russe, disposant d’effectifs et d’une puissance de feu supérieurs, poursuit son grignotage de la ligne de front dans l’est du pays, au prix de lourdes pertes en soldats et en équipements. Même si la situation s’est améliorée pour l’armée ukrainienne au cours des dernières semaines, les deux camps restent dans une impasse. « Cette situation pousse à un changement d’attitude du côté ukrainien. On comprend que la guerre ne peut être réglée uniquement sur le terrain militaire », analyse Tatiana Kastouéva-Jean.
En mai, Vadym Skibitsky, numéro deux des services de renseignement ukrainiens, avait reconnu, dans un entretien au magazine britannique The Economist, que le conflit ne pouvait pas être gagné uniquement « sur le champ de bataille ». « De telles guerres ne peuvent se conclure que par des traités », avait-il affirmé.
Car il ne concède qu’une ouverture sur des sujets limités
L’Ukraine souhaite concentrer les futures discussions uniquement sur trois des dix points du plan de paix ukrainien présenté par Volodymyr Zelensky à l’automne 2022 : la sécurité énergétique de l’Ukraine, la libre navigation en mer Noire et les échanges de prisonniers. « Les vrais sujets stratégiques liés au conflit, comme l’adhésion du pays à l’Union européenne ou à l’Otan, ne sont pas du tout évoqués. Il y a vraiment une volonté de s’entendre sur le plus petit dénominateur commun », souligne Tatiana Kastouéva-Jean.
Côté russe, Vladimir Poutine et les dirigeants du Kremlin ont toujours conditionné les négociations avec Kiev au retrait complet de l’armée ukrainienne des régions dont Moscou revendique l’annexion, et à l’assurance que l’Ukraine renonce à rejoindre l’Otan. Des questions que le président ukrainien est loin de mettre sur la table. « Montrer une ouverture à la négociation, c’est une chose. Mais aboutir à des résultats tangibles, c’en est une autre », relève Tatiana Kastouéva-Jean.
Ciel Bleu/France info